Souvenirs, souvenirs
Il m’arrive de montrer quelques-unes des photos que j’ai prises au cours de mes pérégrinations, à quelques personnes triées sur le volet. Ce jour-là, c’est madame Ato qui en a une la joie. Je l’ai baptisée à Sapporo ainsi que son fils voici déjà plus de vingt ans. Les aléas de la vie font que nous nous étions perdus de vue, elle, avec sa famille, expatriée à Londres, et moi à Paris pour un moment, puis à Tokyo pour quelques années avant de revenir dans le Hokkaïdo, à Hakodaté et maintenant à Otaru. À la faveur de connaissances mutuelles, nous avons renoué contact, à ma grande joie. Son mari est toujours chercheur en médecine, spécialisé dans la lèpre, et ses enfants sont grands. Ils habitent désormais à Tokyo. Le temps a passé mais nous nous sommes retrouvés comme au premier jour, signe que l’amitié fait son œuvre. Alors que je lui montre cette photo que je commente immanquablement ainsi : « C’est ma résidence familiale secondaire en France, mais pendant que je suis au Japon, je la confie à mon jardinier... ». Juste pour m’amuser de la réaction des gens. Avant de rire de sa méprise, elle me rétorque : « Mais mon père, de quel genre de famille venez-vous ? » S’ensuit donc ce grand éclat de rire... En vérité, ce n’est pas tout-à-fait faux. Étant gamin, en famille encore, nous nous étions approprié le château de Chambord, son parc et sa forêt comme terrain de jeu. De la chasse aux champignons au petit matin brumeux à la traque silencieuse de quelque gibier, cerfs, biches, sangliers ou lièvres. La vision fugace de l’un d’entre eux nous réjouissait... si fort qu’il déguerpissait à l’instant.
D’ailleurs, la saveur d’un de ces sangliers reste parmi les bons souvenirs familiaux. Nous l’avions ramené dans le coffre de la 504 à la pénombre, tel un trophée royal... Bref, depuis ces faits aux allures nostalgiques, le temps a passé...
Je vous souhaite donc à tous et à chacun une bonne nouvelle année 2019, sous le signe ici au Japon du, vous l’aurez deviné, sanglier.
Le sanglier, intime de l’homme.
Dernier signe de l’art divinatoire extrême-oriental, il symbolise le début de la nuit, période qui appelle le renouveau du jour suivant. Les animaux du zodiac n’étant pas réels, les caractères utilisés pour les écrire sont symboliques. Ils font référence aux activités journalières du Yin et Yang, désignant les directions, les heures ou les dates. En cette première partie de nuit, c’est le moment où les hommes se comportent comme des sangliers. Bien vu ! Inoshishi. La graphie la plus courante est celle-ci : 猪. Composition en deux parties : 犭 et 者 . Lorsqu’une personne 者 se comporte comme un chien 犭...
Mais voici une façon plus explicite d’écrire ce caractère : 豬 C’est le même en plus compliqué : 豕 et 者. La partie gauche constitue littéralement le mammifère et par extension l’animal porcin 豕, tandis qu’à droite c’est toujours une personne 者. En d’autres termes, quand l’homme se comporte comme un cochon, c’est en première partie de nuit, c’est-à-dire lorsqu’il joue à la bête à deux dos...
Mais la graphie symbolique est celle-ci : 亥. Elle semble plus abstraite. Pourtant l’idée reste identique. Il ne s’agit plus d’une personne, mais d’un homme, au sens d’être humain évidemment, 人, (en bas) l’idée étant la même que précédemment, qui porte sur lui ou en lui un enfant 子, qui est dessiné à l’envers, comme un enfant en « gestation » : 𠫓 (en haut). La combinaison de ces deux parties forme de nouveau notre sanglier 亥, mais dans sa graphie symbolique du Yin finissant. Ce qui est conçu dans l’ombre se révèlera au grand jour...
Joyeux Noël
Si mes vœux pour la nouvelle année sont un peu décalés, je vais me permettre de rester dans les clous pour ceux de Noël. Pardon ? Comment ? Quoi ? Mais bien sûr, puisque la saison de Noël dure, cette année encore, comme toujours d’ailleurs, près de trois semaines. Noël ne se réduit pas au réveillon, ou bien ? Le mystère célébré la nuit de Noël, que nous sommes invités à méditer, dure plus que l’instant, aussi festif soit-il, que nous lui accordons.
Dans la vie commerciale locale et nippone, les décorations de Noël illuminent les rues et les magasins aussitôt que celles d’Halloween sont remisées. Autant dire bien avant que la liturgie ne s’en préoccupe. Mes paroissiens trépignent chaque année pour décorer l’église dès le début décembre... Alors que la liturgie ne se met à la préparation de Noël que le 17 décembre... De la même manière, la nuit du 25 décembre à peine venue, ce sont les décorations du Nouvel An qui prennent la place dans la vie civile alors qu’en Église, on commence à peine à se réjouir du mystère à vivre. Et mes paroissiens ne mettent pas beaucoup de temps à trépigner pour ranger tout ça, alors que l’Église nous donne près de trois semaines de réjouissances à méditer sur l’incarnation du Christ, avec un nombre conséquent de grandes fêtes à célébrer... La dernière ? Inclusive ou exclusive ? C’est selon. C’est la fête du baptême du Christ. D’aucuns penseront que j’arrange à ma sauce le calendrier liturgique pour justifier mon retard dans ma présentation des vœux, afin pour moi d’être néanmoins dans les temps... Et pourtant, aujourd’hui, c’est Noël.
Donc, avec la fête au baptême du Christ, je vous souhaite une joyeuse fête de Noël.
Je vous l’accorde c’est une fête de transition : passer d’un état à un autre. Pendant trente ans, le Christ a appris sa vie d’homme avec les hommes de son temps. Dans la famille, à la synagogue ou à l’atelier. Imaginer combien le Fils de Dieu a « perdu » une trentaine d’années de sa vie pour apprendre à être un homme comme tout un chacun me réjouit et m’étonne. S’il vient du Ciel, on ne pourra pas le soupçonner de manquer à la solidarité humaine. En donnant du temps au temps, il s’est incarné dans l’épaisseur humaine au point qu’au jour de son baptême il soit révélé Fils de Dieu. Par solidarité encore, il se laisse baptiser, comme la foule, des mains de Jean-Baptiste, qui lui, comme par une pichenette, nous dévoile de quel baptême le Christ nous invite à vivre. « Il vous baptisera dans l’Esprit et le feu. » En d’autres termes, en ce baptême conféré par le Christ, nous sommes introduits dans le mystère de sa mort et de sa résurrection... Pas moins. Quoique parfaitement humain, de même qu’il a passé une trentaine d’années à apprendre à devenir un homme, en ne s’exonérant pas du poids du temps qui passe, par le mystère de ce jour, il nous invite à passer le temps qui nous reste à devenir, jour après jour, fils de Dieu... quoique déjà parfaitement fils de Dieu par le don du baptême. Voilà donc l’invitation que le Christ nous lance aujourd’hui : devenir fils de Dieu... c’est juste une invitation... dont la réponse est pleinement laissée à notre liberté.
Jésus a-t-il été nostalgique de sa vie d’antan ? Sa vie « cachée » a laissé résolument la place à une vie « publique » qui le mène directement à Jérusalem.
Laisser sa vie d’antan pour en épouser une nouvelle... Oublier pour accueillir... Laisser les ténèbres s’évanouir à la lumière... Rejeter le vieil homme intérieur pour laisser vivre le nouveau... Mourir pour naitre... Voilà bien l’ordre mystérieusement naturel !
Le sanglier, donc, dernier animal du zodiac oriental, clôt la période sombre, que l’on nomme le Yin 陰dans nos contrées en opposition au Yang 陽, le versant lumineux, glorieux du cycle de la vie. Son caractère évoque une personne portant un enfant en gestation, vie cachée non encore révélée au grand jour. Le premier animal du nouveau cycle, le suivant donc, celui de 2020, celui qui commence la phase lumineuse est le « rat ». Le lien n’est pas évident ! (Décidément, les Orientaux désorientent...) Je me serais attendu à sa naissance. Encore heureux que nous entrions dans le cycle lumineux de la nouvelle journée ! Il nous faut dépasser l’immédiateté des raisonnements simples : la vérité se dévoile progressivement : le jour n’est pas encore levé. Le caractère symbolique du rat zodiacal est justement le... « fils » 子 ! Il est donc bien né, il inaugure un nouveau cycle, glorieux de surcroit. Si cela, ce n’est pas Noël !
2019, en fin de cycle décennal, porte-t-elle en elle l’espérance de 2020 ? J’aime à le croire.
En tout état de cause, cette année sera encore pour moi celle de plusieurs transitions. Je ne suis pas mécontent de quitter cette décennie. Je l’ai aimé en ce qui me concerne mais elle m’a été déroutante en termes de souffrances, de désillusions, d’épreuves que mes proches ici au Japon ou ailleurs ont dû affronter et que j’ai accompagnés autant que faire se peut. Il m’a été difficile plus généralement de constater l’inauthenticité, les arrangements avec la vérité, les compromis avec la justice, les défis de l’égoïsme, les fausses voies... aussi bien dans l’Église que dans la société. Ce n’est rien de dire que le « fils de Dieu » en nous est encore en gestation... Encore un peu de patience, d’espérance.
52 ans cette année. Déjà la moitié de ma vie en Asie. 25 ans au Japon et par voie de conséquence 25 ans de sacerdoce. Jubilé d’argent. Matière première suffisante pour faire un bilan ? On tremplin pour courir sans crainte vers de nouveaux horizons ? Les deux mon capitaine ! Le bilan ? Je vais y réfléchir. Cependant que les nouveaux horizons s’ouvrent. Bien que ce ne soit pas encore officiel, je sais que je vais quitter ce coin du Hokkaïdo constitué des deux paroisses dont j’ai la charge, Otaru et Kutchan. D’aussi loin que je puisse me souvenir, c’est ici que j’ai été le plus heureux depuis que je suis au Japon. Il me faut laisser à mon évêque le loisir de ses annonces officielles, en début février semble-t-il, c’est pourquoi je tiens sur votre discrétion... Je suis envoyé encore un peu plus vers l’est, dans ce Hokkaïdo hostile aux demi-portions, à 300 kilomètres d’où je suis actuellement ; j’ai nommé Obihiro. Mourir et renaitre. C’est un nouveau défi et je suis honoré que mon évêque considère que je peux y avoir ma place. Je serai le confrère des Missions Étrangères le plus extrême-oriental. Insigne honneur !
Ce qui ne devrait pas changer en de grandes proportions, ce sont mes développements informatiques. Notre site de distributions liturgico-bibliques fonctionne à merveille. Quelques maintenances ponctuelles et épisodiques constituent le gros du travail : tout est désormais automatisé. Ça tourne comme une horloge. Les utilisateurs sont ravis. Nous avons créé une association pour donner une existence juridique à ce service dont l’objectif est le témoignage du Christ par le biais d’Internet. C’est donc par le truchement de cette association que je me suis attelé à un nouveau gros chantier sur lequel je passe beaucoup de temps : je développe de A à Z le nouveau site du diocèse de Sapporo !
Je vois que j’en ai écrit beaucoup trop. Sur ce, je vous laisse. Je vous souhaite la joie profonde d’être enfant de Dieu pour cette nouvelle année 2019. En la fête du Baptême du Seigneur. Joyeux Noël !