C’est une humeur de Madame Poppins qui m’a invité à réfléchir à cette notion d’éternité. Pour ne pas coloniser l’espace des commentaires de son blog, je lui réponds ici. Et je laisse la magie d’Internet opérer.
Question
L’esprit moderne est-il limité ? L’esprit « scientifique » est-il borné ? Pourtant, à écouter discourir de grands mathématiciens on ressent toute la poésie de l’ordre du monde. Comme si la poésie, l’art étaient l’ultime recours pour exprimer ce qu’un esprit méthodique et rigoureux a découvert.
Méthode
En latin, on prend des choses çà et là afin de les rassembler pour les « comprendre ». De choses indépendantes les unes des autres, donc limitées, circonscrites, bornées, on découvre les liens, les connexions qu’elles entretiennent et, comme par fulgurances poétiques, on les comprend ! Peut-on dire qu’un esprit moderne limité et borné accède à la connaissance, à la compréhension, par sa capacité à créer des liens ?
En japonais, on fait le contraire. D’une mélasse chaotique, on décortique les éléments pour arriver à leur plus simple expression possible. C’est en coupant les liens, en disséquant cette chose informe en parties distinctes qu’on la comprend. [1]
Que la méthode consiste à partir de parties pour en entrevoir le tout, ou à prendre le tout pour en décomposer les parties, quoiqu’il arrive, c’est une histoire de bornes que l’on pose ou dépose. Qu’elle consiste à établir des liens ou à casser des connexions, quoiqu’il en soit, on met en évidence des limites à l’intérieur desquelles on se tient ou bien que l’on franchit allègrement. Donc, pour un esprit moderne, par conséquent limité et borné, l’éternité c’est compliqué.
L’Eternité, c’est une tentation poétique pour « dé-limiter » le temps. Le temps, qui par excellence, est une entreprise de limitation.
Références
Saint Augustin, qui intelligemment appréhendait le temps par la durée qu’il impose comme sa manifestation immédiate, s’interrogeait : Puisqu’on peut toujours diviser le temps en parties d’une durée plus courte, la durée la plus courte possible vers laquelle on tend est zéro. Comment donc le temps peut-il être manifesté par une durée résultant de l’addition de durées nulles ? [2] Voilà une première limite posée. Tout autant que le premier mystère qui y est relatif. Parlons-en de la relativité ! Puisque les esprits chagrins m’auront reproché une référence si lointaine. Einstein nous a appris que le temps était justement limité de manière absolue par la vitesse de la lumière, à la vitesse de laquelle justement il s’estompait au point d’en perdre sa durée, ce qui lui en supprimerait sa nature. Donc dans la limite posée par la relativité générale, le temps évolue à son rythme dans un espace qui lui est corrélé, et ne peut en aucun cas s’en désolidariser. [3] A moins de concevoir une éternité relative, si tant est que l’entreprise soit possible, elle resterait dans les limites prévues, et ne « serait » donc pas ! L’Eternité devient donc une impasse à l’intérieur de son champs habituel, puisqu’il est impossible de la soustraire aux limites du temps, donc de la physique.
Ouverture
De même que l’on tente de dépasser la physique par la métaphysique, qui prétend la requalifier en la soustrayant de ses limites au point que toute notion physique lui devienne étrangère, accéder à l’éternité revient à soustraire au temps ses limites au point qu’elle n’ait plus rien à voir avec le temps justement, une sorte de meta-temporalité dont la nature serait étrangère au temps.
Si la métaphysique se donne pour objectif de discourir sur ce qui est au delà du domaine de la physique, ce qui est au delà du domaine de la création si l’on appréhende le sujet d’un point de vue philosophique, voire religieux, l’éternité pourrait être un champ de la métaphysique qui se donnerait pour objectif de discourir sur ce qui est au delà du temps. De même que la physique est disqualifiée pour parler de la métaphysique, le temps est évidemment disqualifié pour définir l’éternité, comme une notion qui lui est étrangère.
Nos esprits modernes et bornés seraient-ils incapables d’appréhender la notion d’éternité autrement qu’en convoquant le « temps », comme unique socle sur lequel construire ce concept ? Et confrontés à ses limites, ils concluraient à son inexistence ou son impossibilité ?
Conclusion
Puisque nous avons vu que le temps n’est pas qualifié, il convient donc d’imaginer une assise différente.
D’un supplément temporel difficilement quantifiable ou imaginable, on pourrait imaginer une totalité essentielle, ou ontologique ?
L’éternité ?
Une plénitude d’être ?
Notez bien
[1] 分かりました!
[2] Je ne prétends pas résumer la pensée de Saint Augustin sur le temps, mais je pioche juste le point qui m’intéresse. Sa pensée est exposée aux livres X et XI des Confessions.
[3] Quant au grand Albert, je ne sais pas où j’ai pioché cela, et je ne sais même pas si j’ai compris...