Cet article est paru dans le supplément de la revue « Missions Étrangères de Paris » du mois de novembre 2015, consacré au « pèlerinage sur les pas d Bouddha » en Inde et au Népal.
Propos du père François-Xavier Haure, MEP, missionnaire au Japon, recueillis par Origenius, son alter ego.
Origenius : François-Xavier Haure, vous êtes missionnaire au Japon depuis une vingtaine d’années, et actuellement curé de plusieurs paroisses dans le diocèse de Sapporo. Avez-vous l’occasion de rencontrer des bouddhistes et d’initier un dialogue interreligieux avec eux ?
François-Xavier Haure : En effet, curé notamment de la paroisse d’Otaru au Nord-Ouest de Sapporo, je rencontre « surtout des bouddhistes », et la plupart sont d’ailleurs baptisés. Il faut simplement comprendre la nuance de mon propos : la plupart des chrétiens sont bouddhistes ! Lorsqu’ils ont entendu pour la première fois cette parole, celle de l’Évangile, et l’ont accueillie, il a bien fallu pour la comprendre qu’ils la confrontent à leur environnement culturel et religieux. En d’autres termes, ils se posent continuellement la question suivante : En quoi le Christ est-il différent de Bouddha ? Leur foi nait de la réponse qu’ils donnent à cette question.
O : Et vous, que répondez-vous à cette question ?
FXH : Permettez-moi de reprendre un événement de l’Évangile. Jésus ne répond pas directement et selon ses termes à cet homme qui l’interroge ainsi : « Maître, que puis-je faire pour obtenir la vie éternelle ? » [1] Cette question est universelle et tout homme né sur cette Terre se l’est posée au moins une fois. Mais ici, la perspective humaine n’est pas celle de Dieu. Il n’y a rien à « faire » pour « obtenir » en raison de cet acte-même la vie éternelle. Ce n’est pas du donnant-donnant. L’amour de Dieu ne serait donc pas suffisamment « amour » pourqu’on ait besoin d’acheter son salut ? Jésus nous invite à accueillir la vie éternelle, alors que le bouddhisme reste dans cette dynamique de l’obtention de mérites qui permettent de sortir de l’implacable Samsara.
O : Concrètement, comment cela se traduit-il dans votre pastorale ?
FXH : Par exemple, par la manière dont les funérailles sont célébrées d’une part et par les rites de prière qui s’ensuivent pour les défunts d’autre part. Les chrétiens japonais restent « bouddhistes » lors de la mort de leurs proches. Attention, je ne prétends pas qu’ils nient la résurrection du Christ et qu’ils n’y croient pas pour leurs défunts, je pense seulement qu’ils « font ce qu’il faut » pour que le Christ les ressuscite, comme les bouddhistes le feraient pour leur accès à la « Terre Pure ». Que par notre prière, nous remettions entre les mains du Seigneur l’être cher qui nous a quittés et que par là nous lui manifestions notre confiance, voilà un réel acte de foi en la résurrection du Christ. Mais que nous calquions notre rite funéraire sur celui des Bouddhistes au point de reproduire les rythmes cultuels, les prières à répétition, les offrandes rituelles et nécessaires, nous basculons dans le « faire » nécessaire pour espérer « obtenir » cette vie éternelle. Ou au minimum nous nous assurons d’avoir fait ce qu’il faut pour le défunt et pouvoir ainsi nous en retourner en paix ; si toutefois l’angoisse lancinante de n’avoir pas fait « assez » est dissipée. En ce qui concerne la pastorale des funérailles j’ai parfois l’impression de faire le bonze !
O : Mais alors comment vous en sortez-vous ? Comment manifestez-vous la spécificité chrétienne ?
FXH : Il me faut bien sûr respecter les demandes des chrétiens et les accueillir avec patience. C’est donc sur le contenu de la prière que j’apporte toute mon attention. Je ne prie pas « pour que le défunt obtienne le repos éternel », puisque par l’amour de Dieu, il participe déjà à la vie éternelle ! Par conséquent, je rends plus volontiers grâce à Dieu, et j’invite les personnes présentes à faire de même, parce que Dieu a déjà accueilli dans son amour cette personne pour laquelle nous prions. C’est une invitation pour que la prière des chrétiens, dont le fond bouddhiste est prégnant, soit évangélisée. Cela demande beaucoup de patience.
O : Voilà deux fois que vous évoquez la patience. Que voulez-vous dire ?
FXH : La patience est indissociable du respect. On entend dire parfois que la mission a échoué au Japon. Que notamment les Missions Étrangères de Paris n’ont pas su y faire, etc. Je pense que c’est tout le contraire. Si l’on compte le nombre de baptisés qui est désormais moindre que celui des chrétiens défunts, on a toutes les raisons de s’inquiéter. La comptabilité statistique n’est cependant pas qualifiée pour juger d’un échec ou d’une réussite en la matière. Il ne s’agit pas de baptiser pour faire des catholiques mais de témoigner du Christ pour faire des chrétiens, des hommes et des femmes attachés au Christ ressuscité ayant accueilli son évangile. Comme le lieu ultime de cette révélation n’est autre que la conscience libre et souveraine d’une personne, rien ne garantira plus le respect qui lui est dû que la patience et la bienveillance manifestées à son égard. Si Dieu lui-même entoure de sa patience une personne japonaise dont le fond culturellement bouddhiste reste le terreau de l’accueil de l’évangile, qu’est-ce qui justifierait que je déclare la mission en échec à l’aune unique de statistiques en sa défaveur ? « Mille ans sont comme un jour, un jour comme mille ans ! » [2] nous a rappelé, dans des circonstances analogues, un Saint Pierre connaissant le cœur de Dieu.
O : Vous dites ainsi que l’échec n’est qu’apparent, et que le succès, s’il y a, est une affaire peut-être d’un millier d’années ?
FXH : Oui, c’est une manière de parler en effet. Il faut du temps pour que dans le plus grand respect des consciences, la parole de Dieu fasse son chemin. Il faut du temps pour qu’elle féconde les cœurs et que l’intuition de la foi se manifeste par le témoignage. Il faut du temps pour qu’elle féconde la langue de ces témoins, le japonais, afin qu’elle recèle en elle-même les outils adéquats pour manifester le Christ ressuscité. Il faut du temps pour qu’elle enrichisse la culture, qui sera transfigurée par tous ces Japonais ayant accueilli le Christ. Il faut du temps. De la patience, du respect et du temps. On appelle ça, en théologie, l’inculturation.
O : Vous employez de si grands mots… Pouvez-vous en guise de conclusion évoquer votre prière de missionnaire ?
FXH : Alors en japonais, elle se résume en deux expressions que j’adresse volontiers à Dieu. L’une c’est « Yoroshiku ! » Dans mon acception du terme, ça veut dire : « Occupe-toi bien de nous ! » Et la deuxième c’est « O makasé » (à prononcer avec deux s). C’est la prière, à l’emporte-pièce, de Syméon : « Seigneur, entre tes mains, je remets mon esprit ».