Alors que le printemps est déjà bien engagé dans le Sud du Japon et qu’il commence tout juste, à poindre dans le Nord, la nature elle-même pour sa renaissance, en délaissant sa blancheur glaciale, teinte ses paysages d’une variété enchanteresque de verts. Ils sont chacun autant d’appels à renouveler votre espérance en Jésus Christ, vainqueur de la vie sur la mort.
À Noël, pendant que les têtes blondes se réjouissent de multiples cadeaux tant attendus, leurs parents, amis et autres connaissances sabrent le champagne, dégustent quelques bourriches et s’enivrent quelques heures sur les pistes illuminées et endiablées de rythmes saturés. Voilà une bonne façon de terminer l’année. À la Toussaint, où la veille, mais comme ça dure plusieurs jours, ça valide, on se déguise en morts-vivants, se peinturlure d’orange ou d’os squelettiques ou se déguise en citrouille ; et les enfants se gavent de bonbons à s’en faire péter la panse ou jettent des sorts à l’envi. Une nouvelle façon de conjurer sa peur ou ses inquiétudes. Quant à l’occasion de la fête de Pâques, on n’oubliera pas la chasse aux œufs en chocolat, à moins que ce soient des lapins ou des tortues. Les enfants en quête de surprises chocolatées découvrent ces trésors en moins de temps qu’il en faut à leurs parents pour les dissimuler. Bref, que de bonnes occasions d’amuser les enfants ou de se distraire pour un temps avant de reprendre le turbin parfois ingrat et quelque peu insensé !
Pourtant le drame évangélique de Pâques dont, en parallèle, vous avez peut-être aussi fait mémoire pendant les jours saints vous rappelle que, à force d’attitudes humaines contradictoires, l’accueil du Salut proposé et assumé par le Christ n’est pas évident. En effet, vous ne pouvez pas en rester à l’idée préconçue que vous vous faites du salut. Et de vous en contenter. Ce serait vous faire illusion.
Qu’il s’agisse du Judas, de la foule acclamant Jésus lors de son entrée à Jérusalem, d’Hérode, du grand prêtre et de sa clique, de Pilate, de cette même foule hurlant maintenant « crucifie-le ! » ou encore de ses fidèles disciples, chacun se fourvoie lamentablement sur la nature du Salut proposé, victime de présupposés ou de biais de confirmation trompeurs lui interdisant l’accès au mystère dramaturgiquement en pleine réalisation.
Que vous convoquiez la cupidité de Judas pour expliquer sa trahison, et vous passez irrémédiablement à côté de l’enjeu ! Et vous complaire dans cette explication vous éloigne plus sûrement du drame : Judas ne voulait-il pas provoquer de la part de Jésus, dont il avait fini par être exaspéré de l’inaction, qu’il s’engageât enfin contre ces cliques oppressantes (juive ou romaine), et ainsi réaliser le salut qu’il s’était imaginé être le salut, un salut à taille désespérément humaine ? Un salut consécutif à la victoire de combattants dont il était sûr d’être un fier représentant et sur lequel la gloire retomberait ! En faire grief à ce malheureux ne ferait que vous ancrer dans son sillage, un sillage dont n’était pas éloigné Pilate. « Alors comme ça, tu es roi ? », questionna-t-il. Il se méfiait donc de ce soi-disant roi dont l’hypothétique armée serait susceptible de le délivrer et faire de l’ombre à l’autorité qu’il tient de Rome et dont la pauvre fierté l’aveugle dans cette bourgade éloignée de l’Empire… Entendit-il que « son Royaume n’est pas de ce monde » qu’il s’apaisa ; aucune crainte à avoir d’un illuminé sans danger pour son propre pouvoir. Et Pilate aussi passa à côté du mystère ! Son alter ego dans la crainte de perdre ses prérogatives, Hérode, est, lui, pathétique. Ayant entendu les rumeurs au sujet de ce Jésus, qu’il n’attend de lui que quelques tours de magie pour amuser sa galerie. Misérable. Et que faire de cette foule versatile ? La maudire ? La mépriser ? De quel salut se prévaut-elle lorsqu’elle chante Hosanna, pour être capable 3 jours après, dans un mimétisme implacablement coupable de hurler à la mort de celui qu’elle a accueilli ? Sait-elle qu’elle est finalement un acteur imminent du drame ? Comme moi, vous avez du mal à parler du grand prêtre et de son conseil. Sont-ils tellement jaloux de leur puissance religieuse qu’ils en oublient Dieu lui-même ? La hargne meurtrière qu’ils déploient vous remplit de stupeur ; le péché défigure-t-il l’être humain à ce point ?
Ecce homo
Lorsque Jésus, le Christ, rejoint la déchéance misérable de l’homme. « Voici l’homme ! » Mais enfin, de qui Pilate parle-t-il ?
Un seul homme, témoin du drame et prémices de l’humanité dégradée et pérégrinante, a effleuré la vérité du mystère. De cet illustre anonyme vous découvrant le passage, vous ne connaissez que la prière, enfin humble et confiante : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume… » Il est le premier être humain, sans doute le plus criminel et défiguré d’entre eux aussi, à s’abandonner à la confiance et à l’espérance. « Je vous le dis, aujourd’hui, vous serez avec moi au paradis ! »
「はっきり言っておく。あなたは今日私と一緒に楽園にいる。」
Pour obtenir le salut qu’ils se sont imaginé, qu’ils se sont construit, des chimères, les hommes se sont fabriqué des méthodes pour les intelligents, des chemins escarpés pour les forts, des labyrinthes pour les élites. Vous vous êtes fait Judas, Grand-prêtre, Pilate, Hérode chacun à son tour. Vous avez chanté, acclamé, puis hurlé avec la foule. Vous vous êtes distrait dans les orgies, vous vous êtes saoulé dans les beuveries, vous avez volé, méprisé, trompé, tué. Que de déceptions, de voyages sans retour et inaboutis !
La croix a cristallisé tous ces culs-de-sac et ouvert le mystère. Et c’est le plus perdu des hommes qui l’a accueilli avec humilité et confiance. Mais non, Judas, il n’est pas trop tard !
Imaginons un instant que, comme ce bon larron, avec humilité, vous preniez le parti de la confiance et que, comme lui vous entendiez à votre tour cette parole de Jésus : « Aujourd’hui, tu es avec moi au Paradis ! » Mais vous, vous n’êtes pas mort !, vous offusquez-vous !
Imaginez plutôt la puissance de cette révélation. Sur la croix, Jésus vous mépriserait-il pour vous balader ? Certes, non ! Il vous proclame de son intime voix une vérité qui vous avait échappé jusqu’à présent : Aujourd’hui est le premier jour reste de votre vie, le premier jour pour arpenter ce nouveau chemin, éclairé d’une lumière nouvelle en direction d’un paradis dont vous ressentez déjà la confiance, goûtez déjà la saveur, humez déjà les parfums subtils. Le premier jour de votre vie fidèle, le premier jour de votre vie de foi.
Marie de Magdala, comme les autres femmes, Pierre comme les autres disciples ont vécu cette rencontre extraordinaire du Christ ressuscité. Tout étonnés qu’ils furent de ce premier jour du reste de leur vie, ont-ils pour autant tout abandonné de leur vie pour se lancer à cœur perdu à la suite du ressuscité ? Non, car ils n’ont pas encore compris de quoi il s’agit. Cette annonce, cette nouveauté étant tellement éloignée de leur entendement, de leur intuition naturelle qu’ils ont besoin d’explications. Vous rappelez-vous le disciple que Jésus aimait (il ne se nomme pas dans son propre évangile), Jean ? Lorsqu’il a demandé à Jésus, à leur première rencontre trois ans auparavant, où il demeurait, celui-ci lui a répondu : « Viens, et tu verras ! » Et voilà qu’au premier jour de cette nouvelle ère, Jean « vint, vit et… crut ! » [1] Au matin de la résurrection (mais pouvait-ce être un autre jour ?), il crut et obtint ainsi la réponse à sa question fondatrice. Il a pourtant franchi cols et vallées en Judée et Galilée à la suite de Jésus, exerçant sa proximité, se nourrissant de sa parole, témoin visuel de ses œuvres jusqu’à l’ultime croix, bénéficiant de miséricorde, d’amitié, pour enfin comprendre et finalement croire… Trois années de pèlerinage lui ont été nécessaires pour se laisser humblement toucher par le mystère.
Alors que Pierre, le fameux Pierre, bien qu’heureux de la résurrection de son Seigneur, est tenté de revenir à sa vie d’avant. Jésus l’interpelle alors avec bienveillance. « Jette tes filets du côté droit, tu devrais en prendre… » Et les filets ont même failli se déchirer sous la quantité de poissons ! Cet épisode ne vous donne pas comme une impression de « déjà-vu » ! Si, rappelez-vous, c’était aussi à leur première rencontre. De la même manière, après une nuit fatigante d’un labeur stérile, Jésus a enjoint à Pierre de jeter encore ses filets. Celui-ci, bougon, s’exécuta : « Puisque tu le dis… » Et la pêche fut étonnamment surabondante. C’est d’ailleurs à ce moment-là que Jésus a confié sa vocation à Pierre : « Tu es pêcheur, alors je te ferai pêcheur d’hommes ! » Et pourtant, même après la résurrection, le pêcheur Pierre est retourné à son boulot de pêcheur lambda d’avant. Ça valait bien la peine ! Alors avec force respect, le ressuscité s’approche et lui fait revivre cet événement initial. Pierre le revit et le revoit sous la lumière de la résurrection : lui aussi désormais commence sa vie renouvelée, celle qui est transfigurée par le mystère. Trois ans, trois ans de fougue, de courage, de joie, d’exaltation, de force, de promesses, mais aussi de bougonneries, de couardise et même de reniement, de peur. Trois années de proximité, parfois difficile, avec Jésus ont été nécessaires à Pierre pour, comme Jean, croire et vivre le premier jour du reste de sa vie…
Alors, lorsque je tiens à vous souhaiter de Joyeuses fêtes de Pâques, je ne veux pas vous laisser une formule recuite. Je vous souhaite au contraire autant d’humilité et de confiance que le bon larron qui, comme l’ouvrier de la onzième heure, s’est ouvert au mystère du salut proposé par le Christ. Reconnaissez-vous peut-être que votre réaction devant cet événement est plus proche de celle d’une foule mimétique et réactionnaire, d’un Hérode dérisoire, d’un Pilate pathétique ou d’un grand prêtre pitoyable ? Alors, souvenez-vous que « le disciple que Jésus aimait » et Pierre ont dû parcourir un long chemin, dit de conversion ou de foi pour, enfin, accéder au mystère. Rappelez-vous que Jésus les a tenus par la main avec une bienveillance inouïe afin de les guider, les soutenir, les porter vers le mystère que Dieu a préparé spécialement pour eux.
Vous êtes sur cette route ? Je suis sur cette route !
Joyeuses fêtes de Pâques ! Le Christ est ressuscité ! Alléluia !
Notez bien
[1] César n’avait pas tout compris non plus !