Après l’année de la vache, voici l’année du tigre. La majesté de l’animal suggère une nouvelle année plus noble, plus mystérieuse que la précédente, dont il faut bien avouer que l’animal qui la représentait, même mythifié, nous est plus commun. L’influence continentale est perceptible ; le tigre n’ayant jamais élu domicile sur l’archipel nippon.
Cela ne nous dispense pas de comprendre le sens apposé à cette nouvelle année en nous confrontant à la signification des caractères. Parce qu’il y en a deux, évidemment. Le film « Tora ! Tora ! Tora ! » de Richard Fleischer en 1970, qui a documenté la bataille de Pearl Harbor, a popularisé cet animal si bien que tout un chacun sait dire « tigre » en japonais.
Le caractère habituel, celui que l’on utilise dans la littérature commune, est celui-ci : « 虎 », alors que celui qui est mythologisé est celui-ci : « 寅 ». Le premier, « 虎 », est composé du radical de tigre (虍) debout sur ses deux pattes arrière (儿), si bien que ce qui est évoqué ici n’est certainement pas un tigre paisible se faufilant nonchalamment, mais bien un tigre agressif, aux aguets, à la manière d’un ours prêt à la confrontation. Tout l’enjeu consiste à adopter une attitude adéquate et efficace pour juguler le danger que représente une agression possible. Ainsi, le tigre est toujours compris dans sa dimension de puissance pour laquelle nous pouvons avoir de l’admiration, aussi bien que d’agressivité, pour laquelle nous devons développer des trésors de prudence.
La version mythique du caractère, « 寅 », n’est pas étrangère à cette acception. En effet, sur l’échelle cyclique du temps qui passe, le tigre intervient en tout début de la période Yang, à l’aube naissante. Le tigre est ainsi manifesté comme le premier animal prédateur à rôder à la pénombre de l’aube à la recherche d’une proie pour en faire son petit-déjeuner. Si bien que les gens (人 stylisé ainsi 八 en bas du caractère) affrontant dès potron-minet leur journée sont d’humeur bougonne, car ils doivent s’attendre à se défendre contre l’agressivité du tigre affamé rôdant alentour. Est-ce bien raisonnable ? Ils feraient bien mieux d’entretenir de conviviales relations avec les gens de leur maison (宀), manière de laisser passer le danger sans vains soucis ! Non seulement, à la clarté du jour, le danger sera passé, mais ils auront passé un temps agréable et paisible, sans effort particulier. En d’autres termes, en présence d’un tigre, il convient de garder toute mesure (由) et de ne pas jouer au fanfaron inutilement…
De l’art de s’accommoder des situations.
Je vous souhaite donc une année 2022, bien qu’encore dangereuse à bien des égards, durant laquelle vous saurez trouver sérénité, confiance. Un peu à la manière du Christ tout juste ressuscité s’adressant à ses disciples effrayés par les perspectives défaitistes : « La paix soit avec vous ! ». Une paix qui transcende toutes les frayeurs, une paix qui surmonte toutes les inquiétudes, une paix qui ouvre à l’espérance.
Je ne résiste pas à l’envie de vous présenter en un conte populaire la manière dont le plus rusé des animaux s’est joué du destin funeste auquel un tigre le destinait.
Le renard plus fort que le tigre
Dans les temps anciens, alors qu’un renard se promenait tranquillement dans la forêt, il se trouva nez à nez avec un énorme tigre. Celui-ci sans autre manière s’en saisit et, ouvrant une gueule dévoilant ses dents acérées, s’apprêtait à en faire son déjeuner. Il fut surpris par la requête soudaine du renard : « Attends un instant : tu penses que tu es le seul à être fort, et tu te prends pour le roi des animaux ? Mais tu ne m’arrives même pas à la cheville ! »
« Quoi ? Tu t’imagines être plus fort que moi ? » répondit le tigre.
« Évidemment ! »
« Balivernes ! »
« Si tu ne me crois pas, viens avec moi, je t’emmène jusqu’à la ville. Si les gens, en me voyant, n’ont pas peur de moi, alors à ce moment-là, tu pourras me croquer. »
« D’accord, allons-y ! »
Le renard emmena le tigre vers la grande ville, jusqu’à la place du marché, agitée comme lors de ses plus beaux jours.
À leur arrivée, tous les gens de la ville furent si effrayés à la vue du tigre suivant le renard, qu’ils s’enfuirent chez eux sans délai.
C’est ainsi que le renard se vanta :
« Tu vois bien ! Les gens, en me voyant, se sont enfuis, c’est moi le plus fort ! »
Le tigre semblait considérer que ce qu’a dit le renard était vrai et que si les gens se sont enfuis, c’est bien parce que des deux, le renard était le plus fort.
Celui-ci tourna sa queue et, peureusement, s’enfuit derechef ! Laissant coi le tigre interloqué (et toujours affamé).
Ces amuse-gueule vous ont-ils mis en appétit ? Voici quelques-unes de mes nouvelles au cours de l’année de la vache : c’est par ici !