Je vous souhaite un Joyeux Noël à tous et à chacun !
Avec cette crèche, simple, de la paroisse d’Ikeda où j’ai célébré ma septième messe de Noël, la quatrième de la nuit… Je commençais à connaître l’Évangile par cœur, aussi bien que mon homélie... enfin, que mes homélies, car j’en ai préparé deux !
On n’est pas fâché de laisser aller 2020 vers le silence du passé où l’on voudra bien la laisser en espérant que 2021 nous ouvrira la voie d’une nouvelle espérance. Saura-t-on profiter du tremplin 2020 pour accueillir 2021 avec un esprit renouvelé et un cœur espérant. C’est l’occasion qui fait le croyant. Elle se présente d’ailleurs chaque année, lors de la fête de Noël où l’on fait mémoire de cet événement surprenant : Dieu s’incarne en un petit enfant. Il ne tient qu’à nous de l’accueillir, de l’élever et de le faire grandir avec nous. Si on l’a saisi, ce Dieu fait homme va nous ouvrir les perspectives de son monde, celui qu’on a oublié, celui qu’on n’ose plus espérer, celui qu’il nous présente avec fidélité et patience. Elles sont d’ailleurs étonnantes ; sans jamais s’offusquer de nos aveuglements, il nous soumet régulièrement son invitation.
Dans le passage d’Évangile de la messe de la nuit, j’ai été étonné cette année de la quantité de ténèbres épaisses en toile de fond de l’événement qu’on célèbre. Auparavant, je pensais que si Joseph et Marie s’étaient faits à l’idée de passer la nuit dans une grotte alentour, c’était qu’ils étaient arrivés trop tard à Bethléem. Avec tous ces gens qui venaient se faire enregistrer pour le recensement, les hôtels étaient pris d’assaut, et il n’y avait plus de chambres libres pour les retardataires. Je n’ai eu l’idée que cette année qu’on ait pu leur opposer une fin de non-recevoir. (Suis-je naïf !) Les gens bien comme il faut sur eux n’ont pas accueilli ces péquenauds du Nord dans leur ville royale. Voilà ce qui s’est passé. Il y avait de la place pour les gens aux poches pleines et au pedigree débordant et valorisant. Qu’avaient-ils à faire avec l’humilité d’une jeune femme enceinte et poussiéreuse.
Joseph était bien de sang royal, mais comment sa barbe hirsute aurait-elle pu en témoigner ? Ils n’ont pas insisté. Les pauvres n’insistent pas. Ils souffrent. Du mauvais côté de la ville, au delà de la rivière, il y avait cette grotte ou cette étable où ils ont trouvé refuge. Et le bébé est venu, là, misérable. C’était le lieu des parias, des autres exclus de la société, ces clampins de bergers y dormaient à la belle étoile. Ils ne connaissent que la solitude bienveillante de la nuit. Pendant la nuit, ils ne sont ni vus, ni jugés, ni insultés. Et pour cause, personne ne les voit. Ils sont transparents. Étant émerveillés de la magnificence des étoiles tout au long de la nuit, ils cherchent à imaginer la vérité des fils d’Abraham, dont ils savent qu’ils sont plus nombreux que les étoiles qu’ils admirent dans le ciel. Mais qui sont les fils d’Abraham ? En sont-ils ?
La nuit manifeste autant les ténèbres des bergers que les ténèbres des habitants de Bethléem. Les uns sont mis à l’écart, parce qu’ils multiplient les tares dont la bonne société s’enorgueillit d’être libérée. Les autres sont occupés, sérieux, besogneux, affairés, habitués. Ils se distraient. En français, le mot ténèbres n’est que pluriel. Il n’existe pas (normalement) au singulier. Preuve que si l’on met un pied dedans, on est happé corps et âme tellement leur aspiration est puissante et irrespectueuse. Les ténèbres ne sont pas que la toile de fond de l’événement somme toute bien banal de la naissance d’un enfant, mais le terreau, le socle et la matrice qui ont suscité cet événement. Nos ténèbres nous ont valu ce geste lumineux de la part de Dieu. Dieu s’est incarné en ce petit enfant misérable afin que sa présence lumineuse chasse les ténèbres. Mais les ténèbres ne sont pas éprouvées de la même manière par tous.
La bonne société des gens de Bethléem patauge dans de crasses ténèbres, mais ils ne le savent pas, tout affairée, occupée et distraite qu’elle est. Des fils d’Abraham qui s’ignorent. Ce sont des pauvres riches de vanités futiles. À l’inverse, les bergers savent qu’ils sont ténébreux. Mais qu’y faire ? Rêver ? Espérer ? Plutôt endurer et résister tout le temps que ça durera jusqu’au dernier souffle. Cependant, il y a une différence fondamentale entre ces catégories de personnes enténébrées : les unes n’en ont pas conscience et sont dans la désespérance pratique, ils souffrent inconsciemment se faisant, croient-ils, leur propre bonheur. Les autres sont disponibles à la nouveauté, à être éclairés par le moindre rayon stellaire, même s’ils n’y croient pas vraiment. Ce serait bien étonnant qu’une flamme chasse les ténèbres de ce monde. Le monde est ainsi fait. Des fils d’Abraham qui s’ignorent. Mais à qui ressemblé-je ?
Parce que cette lumière a lui, luit et luira ! Si les gens de Bethléem l’ont vu débarquer sous les traits d’une Marie enceinte et fatiguée, ils l’ont repoussée, tout inquiets qu’ils étaient de changer leurs habitudes, d’être interpelés par leur humanité. Au contraire les bergers tout transparents qu’ils sont, se sont laissé éclairer par cet éclat nouveau et se sont réjouis d’entrevoir enfin une nouveauté radicale en gestation d’espérance. Car la lumière divine prend d’infinies précautions pour chasser nos ténèbres de son éclat. Cette lumière est une invitation, une douceur, une tendresse, une joie, une sérénité. Cette flamme réchauffe, mais ne brûle pas. Elle éclaire, mais n’éblouit pas. Elle invite, mais ne s’impose pas. Elle guide, mais ne contraint pas. On peut la voir sans la reconnaître. Me reconnais-je mieux dans les gens de Bethléem ou dans les bergers. Suis-je seulement un pauvre ignorant ou plutôt un pauvre de cœur ?
La liturgie nous offre de revivre ce drame chaque année. Sa régularité marque la patience divine aussi bien l’invitation divine toujours renouvelée. Chaque année, nous fêtons Noël. Comme les gens de Bethléem, on prépare chapon, huîtres, saumon fumé et foie gras, avec force cadeaux : iPhone 12, MacBook Air et jeu de poker ! Et voilà. Cette année, on a en plus bien respecté les gestes sanitaires. Ou bien comme les bergers, on a accouru là où la lumière nous a guidés. On a accueilli cet enfant et on l’a reconnu comme sauveur, Christ. On l’a accueilli chez soi et par la joie éprouvée on lui a permis de parcourir le reste de nos jours avec lui afin qu’il nous mène jusqu’au reste éternel de ses jours ! Et pour fêter ça, on prépare chapon, huîtres, saumon fumé et foie gras, avec force cadeaux : iPhone 12, MacBook Air et jeu de poker ! Cette année on a en plus bien respecté les gestes sanitaires.
Joyeux Noël, Fils d’Abraham !
P.S.
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